Tout d’abord, je tiens à remercier Solange, du blog Solange te parle, qui m’a donné l’idée de cet article, un peu plus personnel que les autres, et qui me permettra peut être de donner à mon blog le ton que je souhaite enfin. Je vous mets un lien vers la vidéo de Solange: http://solangeteparle.com/?s=déclic+culturel&submit=Recherche
Mais, mis à part l’incitation de Solange, pourquoi cet article? Parce que je crois profondément que la culture permet de mieux se comprendre soi-même. Que certaines oeuvres, certains livres, certains films, si je ne les avaient pas vu, s’ils ne m’avaient pas traversé, s’ils ne m’avaient pas modifié, et bien je ne serais pas la personne que je suis. Parce que j’aime transmettre et comprendre, et apprendre. Parce qu’il y a de multiples façons de s’approprier une culture. Parce que quand je parle d’un livre, d’un film, d’une pièce de théâtre, j’ai parfois envie de pleurer, ou de rire, ou les deux en même temps. Parce qu’au lycée et encore plus tard, les profs ont été comme des parents spirituels pour moi. Voilà pourquoi j’avais de multiples raisons d’écrire cet article.
Je parlerais en premier du livre de Bernard Werber, « Les fourmis ». Complètement fasciné par le personnage d’Edmond Wells, un genre de Léonard de Vinci visionnaire, touche-à-tout et incompris (et de plus, personnage posthume qu’on découvre seulement par ses écrits, ce que j’ai trouvé génial) j’ai alors ressenti, appris, que les savoirs pouvaient être profondément ludiques, amusants, grisants, intriqués à la fiction (car en partie fictionnels eux-mêmes?) j’ai adoré ce patchwork d’éléments disparates formant un tout polymorphe et en constante recomposition.
Vers l’âge de 13 ans, je suis allé avec ma grand-mère voir une pièce de Molière à la Comédie française, « Les fourberies de Scapin », que j’étais alors en train d’étudier à l’école. Et, c’est là que je me suis rendu vraiment compte à la fois de la force comique de la pièce et de l’importance du jeu des acteurs pour faire entendre toutes les nuances et subtilités du texte. J’en retiens un étonnement devant cette évidence que le théâtre n’est véritablement que quand il est joué, et non pas quand il est simplement lu. Tout prenait un autre sens, ou alors le même sens, mais plus fort, plus immédiat, plus drôle, plus incarné.
vers 15 ans, j’ai lu un récit de science-fiction, « Temps mort » de Connie Willis. Histoire de voyage dans le temps, nostalgie d’un passé révolu à retrouver, personnages en roue libre… en lisant cette histoire extrêmement vivante, j’ai eu l’impression que je pouvais ressentir, encore adolescent, les tourments d’une crise de la quarantaine, le ras-le-bol d’une longue vie sans surprises, la culpabilité de ne pas avoir fait les bons choix au bon moment, etc. Les personnages me semblaient si proches que ça en était presque magique. J’ai continué et repris l’histoire dans ma tête de nombreuses fois, longtemps après.
à 19 ans, je vois « Le ciel peut attendre » d’Ernst lubitsch, que j’avais demandé à mes grands-parents d’enregistrer. Le style de Lubitsch, tout en ellipses et en légèreté, me ravit. Le film parle pourtant de choses graves, mais rien n’est lourd, rien n’est appuyé, tout est suggéré. Je me suis rendu compte après coup que je m’était identifié simultanément aux trois personnages principaux de l’histoire, la femme trompée tellement amoureuse, l’homme séducteur tellement inconstant, l’homme sans passion tellement ennuyeux. J’étais fasciné par ce film parce qu’il me parlait tant de ce que redoutais, imaginais, fantasmais, et de mes angoisses dans les rapports hommes-femmes. Mais tout cela sans gravité. Un jour, je me suis dit que mon idéal c’était finalement ça: que ma vie ressemble à un film de Lubitsch. Avec la même légèreté pour parler de choses graves, le même ton espiègle dans les dialogues, le même air enjoué à travers les larmes. Le monde enfin délivré de la pesanteur.
Enfin, à 22 ans, je lis « La relation critique » de Jean Starobinski, un essai sur la critique littéraire, qui conjoint plusieurs méthodes d’interprétations, et traite des tas de sujets: rapports entre le mouvement surréaliste et la psychanalyse, lecture de Rousseau, hypnose, maladie psychosomatique, test de Rorschach, apparition d’une critique des textes bibliques au Moyen-âge . Enfin je le lis, disons plutôt, je le dévore comme un roman: 400 pages en 2 jours. Une fois commencé, impossible de s’arrêter, l’écriture de Starobinski est tellement fluide, on dirait que tout coule de source. Et je passe mon temps à me dire: »Mais bien sûr! Pourquoi j’y avais jamais pensé avant? C’est tellement évident quand il en parle » on dirait que tout s’éclaire comme dans une enquête d’Hercule Poirot ou Miss Marple, exactement. Il me semble qu’ici, je fais l’expérience inverse mais symétrique de celle que j’avais faite avec Bernard Werber. J’ai lu le roman à suspens « Les fourmis » comme une encyclopédie ludique, et je lis « La relation critique », livre encyclopédique s’il en est, comme un roman à suspens. J’en retiens une très grande jubilation, pour les deux.